comme à son habitude, jude éparpille ses pensées sur papier dans l’obscurité feutrée d’un bureau du centre de recherche. la journée, l’endroit fourmille de discussions frénétiques et du fracas des laboratoires - un comble qu'on ne s'entende que trop peu penser là où l'esprit devrait s'épanouir. alors, à cette heure tardive, il trouve refuge dans le silence bienvenu.

la lumière vacillante danse sur les pages éparpillées de ses projets auxquels il porte une attention méticuleuse. lunettes sur le nez, une main fourrée dans les cheveux, les sourcils froncés et l’embout du crayon entre les dents, jude est concentré sur un calcul quand il entend la porte s’ouvrir brusquement. il arrive à ses collègues d’aussi veiller au centre quand l’envie leur prend, alors il a appris à ne plus trop se préoccuper des interventions passées une certaine heure. même lorsque l’acier froid de l’arme frappe le bureau avec une brutalité palpable, il ne détourne pas le regard.

pourtant, lorsque la voix de l’intrus perce l’atmosphère, jude fige son geste, le crayon suspendu au-dessus des chiffres en désordre. les mots résonnent dans le silence, un contraste frappant avec la quiétude qui le berçait à l’instant. cette voix, il aurait préféré l’oublier. d’ailleurs il se maudit pour la rapidité avec laquelle il a réussi à la reconnaître, même après tout ce temps. le regard fixé sur le papier, il sent son cœur battre contre ses tempes et, comme une réponse, ses doigts resserrer leur prise autour de son stylo. il sent toujours sa présence devant lui, mais résiste à l’impulsion de lever les yeux, préférant feindre l’indifférence, sa spécialité. il pense, il espère même qu’il finira par disparaître. n’est bon qu’à ça de toute manière... murmure-t-il intérieurement, la rancune venimeuse s’insinuant dans ses pensées. finalement, c’est peut-être cette amertume qui lui fait retrouver l’usage de la parole.

tu le récupéreras demain matin si je veux, il finit par dire. un soupir las s’échappe de ses lèvres tandis qu’il contemple le désordre sur son bureau et les quelques feuilles au sol. son regard blasé parcourt les dégâts, un mélange de frustration et de résignation dans son expression. pour info, c’est mal parti là… il marmonne, exprimant l’agacement que la situation lui inspire. finalement, le chercheur relève les yeux vers le soldat pour la première fois depuis son arrivée. puis, avec une ironie empreinte de lassitude, il lui offre un sourire teinté de sarcasme.

content de te revoir aussi, akira.

leurs silhouettes se confrontent, chargées de souvenirs en lambeaux. jude, immobile derrière son bureau, se mord l’intérieur des joues, ressent le poids de chaque mot acide comme une pluie glaciale. ses paroles lui renvoient à la figure tout ce que son ami n’est plus. derrière ses yeux brûlants, il retient la tempête qui menace de gronder. ses ordres pleins de mépris le ramènent à la réalité du système oppressif qu’il est contraint de servir ici. il veut rentrer, partir loin, le planter là et maudire les conventions étouffantes de la garde abrutie. à quoi bon se plier aux règles, à une bienséance imposée qui étouffe l’essence même de qui il est ? il ressent la tentation ardente de céder à la colère. d’abord car il est révolté, mais surtout car au fond, ce qui prévaut sur cette indignation, c’est le soulagement de le savoir rentré vivant.

et tes mesures, je suis censé les inventer ? donc non, tu vas faire ce que je dis.

jude se relève avec une détermination farouche, replace la monture sur son crâne et, d’un geste, fait signe au soldat d’approcher. il fouille alors frénétiquement les recoins de son bureau à la recherche de son mètre, introuvable. la panique s'infiltre doucement dans ses veines, mêlée à la frustration de cette énième perte. mais malgré son agitation intérieure, il refuse de se laisser déstabiliser devant akira. finalement, dans un soupir de soulagement mêlé d'embarras, il retrouve son précieux outil, caché au plus profond de sa blouse. alors, il brise la distance entre eux et se place juste en face du guerrier, si près qu'il peut sentir le frôlement de son souffle. jude lutte contre l'angoisse qui menace de l'engloutir, s'accroche désespérément à sa tâche pour éviter de sombrer dans le tumulte de ses émotions en désordre. il sait que derrière sa façade impassible, tout est chaos, que le monde tourbillonne trop rapidement et que rien n'a plus de sens. malgré tout, il s'efforce de rester concentré, de suivre machinalement la procédure pour mettre fin à ce supplice aussi rapidement que possible. face à akira, ses fondations sont fragiles : il ne peut jamais tenir trop longtemps.

tends le bras.

il étire son mètre du bout de son doigt jusqu'à son coude, avant de retourner à son bureau pour noter les mesures sur une feuille arrachée au hasard. le stylo serré entre ses dents, il se tourne vers akira et entreprend de mesurer en largeur, puis de décomposer chaque partie avec minutie. il ose des regards furtifs vers lui par dessus ses cils. quelque part, au-delà de la rancœur et de toute cette distance, il arrive encore à voir l’ombre du akira d’autrefois. chaque mouvement est précis, chaque interruption du processus pour prendre note des mesures est un répit temporaire dans le tumulte de ses pensées. alors que les dernières mesures sont consignées sur le papier, jude achève sa tâche avec un soupir à peine dissimulé, teinté d’épuisement. pour un instant, il reste là, dos à akira, laissant le silence emplir l'espace entre eux. l'arme brisée sur son bureau attire finalement son attention, comme un rappel silencieux de la raison de leur présence dans cette pièce. il s'approche lentement, ses doigts usés effleurant la surface froide avec une tendresse presque incongrue.

tu l’as pas épargnée… il ne sait pas vraiment s’il tente une plaisanterie ou s’il vient de parler sans même s’en rendre compte. en voyant l’état de l’arme, jude sait déjà le temps qu’il lui faudra pour la réparer. il sait aussi qu'un sérusque est difficilement remplaçable pour les soldats comme akira. sans ça, ils sont vulnérables, sûrement moins à l'aise. ils pourraient mourir. à cette pensée, les mots s'échappent de ses lèvres avant même qu'il ne puisse les retenir.

quand est-ce que tu retournes à l’extérieur ?

l’annonce d’akira frappe jude de plein fouet, lui arrachant un souffle court et douloureux. quand il réalise, il lève directement le regard et vient fixer ses yeux dans les siens sans rien dire pour autant, les iris noirs déjà trop éloquents à son goût. des années se sont écoulées depuis leur dernière conversation, et pourtant, cette révélation ravive une douleur profonde. capitaine ? d’ici les prochaines années ? comment ose-t-il lui annoncer ça à lui ? est-ce qu’il a perdu l’esprit ? a-t-il oublié leurs origines communes ? comment peut-il se complaire dans un système qui continue de faire souffrir tant de gens ? la frustration s’empare de lui, mêlée à un profond désarroi. un jour, il finira par le perdre complètement. il sent le sol se dérober sous ses pieds, comme si le monde entier conspirait contre lui. perdre akira au profit de cet ordre qu'il a tant combattu est une défaite insupportable, une mauvaise blague qui se rejoue sous ses yeux impuissants. les mots lui manquent. il voudrait crier, hurler sa frustration et sa douleur à la face du monde. c’est seulement son arc sourcilier qui trahit son désarroi, un mélange de consternation et d'incrédulité devant la décision de son ami. tout mais pas ça... c'est comme si le monde entier avait basculé dans l'absurdité la plus totale. et pourtant, malgré la douleur qui le lacère, un rire amer s'échappe de ses lèvres. ce rire, dépourvu de toute joie véritable, résonne dans la pièce. t’as rien perdu de ton ambition à ce que je vois… pourtant, si l'on observe attentivement, on peut voir la tension dans son corps, la manière dont ses doigts se crispent sur le rebord du bureau, comme s'ils étaient la seule chose qui le maintienne debout en ce moment. ses jointures deviennent blanches sous la pression, une manifestation physique de la situation qui le submerge.

il ne supporte plus de l’avoir en face de lui. alors, dans un mouvement empreint de résolution, il se dirige vers le placard pour en sortir un petit dossier de quelques feuilles, ses pas résonnant dans le silence. revenant à son bureau, jude s'assoit avec détermination, décidé à se détourner de la présence dérangeante qui occupe son espace vital. il tire un énième stylo de sa poche et se met à écrire.

juste des formalités administratives comme d’habitude, l’informe-t-il. t’as déjà du faire ça vu le type d’arme que tu possèdes. il se permet un regard vers l’arme en question. il connait toutes leurs spécificités, et est au courant que le genre que manie akira est réputé pour être fragile. un frisson de contrariété parcourt l'échine de jude alors qu'il réalise son erreur. ses yeux se posent sur les cases du formulaire, qu’il a remplies de manière instinctive avec les informations concernant akira. ses doigts se crispent sur le stylo qu’il tient toujours. embarrassé, il lui tend le dossier pour le laisser terminer lui-même. de la pointe du stylo, il pointe un cadre sur la dernière page. oublie pas de signer ici.

réparer des dégâts comme ceux provoqués par akira devrait lui prendre au moins une semaine. mais avec la volonté nécessaire, après-demain devrait être faisable aussi. dans un mouvement délibéré, jude se détourne d'akira, laissant son ami à ses propres pensées tandis qu'il se lance dans une quête personnelle à travers les méandres de son bureau encombré. les gestes sont précis, méthodiques, les placards s'ouvrent et se referment sous ses doigts agiles, leur contenu semblant prendre vie dans le désordre chaotique qui règne dans la pièce. mais jude ne se laisse pas distraire, sa concentration rivée sur sa quête. il sait qu'il a conservé quelque part un vieux plan d'Executeur, et il est déterminé à le retrouver. finalement, après quelques minutes de recherche intense, ses doigts se referment sur le précieux document. un sourire satisfait étire ses lèvres alors qu'il brandit le plan devant lui comme un trésor.

de retour à son bureau, il déroule le schéma et le compare à l’arme sous ses yeux avec une petite mine. ce que tu lui as fait aujourd’hui n’est pas si grave que ça, mais ça a ébranlé toutes les anciennes casses. regarde. toujours du bout de son crayon, il pointe les endroits concernés. je pourrais arranger ça rapidement mais ce serait dangereux de te laisser repartir avec un équipement réparé seulement en surface. tu reviendrais ici trop souvent et puis ça te couterait cher en réparation. il pointe maintenant un endroit spécifique de l’arme. il faut aussi vérifier que le sérum souche ne soit pas touché, sinon ton arme est bonne à jeter. c’est ce qui risque de me prendre le plus de temps. il ne sait même pas pourquoi il prend le temps de lui expliquer tout ça. pour ce qu’il en sait, le akira qui se tient devant lui doit sûrement avoir assez d’argent pour se payer une arme neuve dès qu’il fait une égratignure sur celle qu’il possède. bref, tout est à refaire. et ça va quand même te couter cher en réparation. il conclut avec un petit sourire satisfait. jude sait déjà qu’il ne se gênera pas pour majorer la facture à son avantage. la moindre des choses pour être venu le déranger ce soir. je veux bien essayer de te la rendre après-demain, juste pour cette fois. avec assurance, il enfile ses gants et ajuste les lunettes de laboratoire autour de son cou, prêt à se plonger dans le travail minutieux qui l’attend. l’arme semble presque disproportionnée sur lui, un contraste frappant avec sa silhouette longiligne, mais jude ne se laisse pas décourager par les apparences. dans un mouvement fluide, il attrape le plan d'une main et l'arme sous le bras, il se dirige vers la porte d’entrée. il lance un dernier regard à akira par-dessus son épaule. laisse le dossier sur le bureau quand t'auras terminé. salut. puis il disparaît dans l’obscurité du couloir.